Association Rèpublicaine Irunaise
"Nicolás Guerendiain"
La défense des valeurs républicaines et la récupération de la mémoire historique

Le recit gagnant. 2ème Catégorie. Auteur: Ana López de Pariza Sanz

Le passé pèse

Affiche du concours litteraire

-Il faut que tu me comprennes et que tu me pardonnes- avait dit Antxon à son fils Eneko. Je ne veux pas que tu sentes de la peine pour moi. Je veux seulement que tu me comprennes. On ne vit pas comme on veut, mais seulement comme on peut ou comme il nous est permis. La vie n'est pas une voie si large…

Eneko à ses 35 ans n'arrivait pas à comprendre la raison du tracas qui avait accompagnait l'existence de son père pendant cette dernière année. À vrai dire, le diagnostic de cancer de colon terminal lui avait changé l'humour et l'optimisme avec lesquels il avait toujours vécu. Mais son intuition lui disait que cette dernière pétition avait quelque chose de nouveau.  De surprenant.

Il commença par lui dire que seulement après le dernier jour, il devait ouvrir le débarras qu'il n'avait jamais eu la permission de visiter. Qu'il trouverait la clé dans la ceinture à fermeture éclair intérieure, dans sa table de nuit.

Quand le sommeil éternel l'embrassa de son manteau noir, Eneko pris la clé de sa cachette et se dirigea vers le débarras avec un pressentiment étrange au cœur. 

Il y trouva des livres, des revues, des photos, des cartes postales, des sacs, des balluchons, des boîtes empilées moisies et déformées. Il réfléchit à ce qu'il devait faire et comment s'y prendre.

Eneko se décida à ouvrir les boîtes et les sacs. Il lit beaucoup, il passa des après-midi entiers assis sur la petite chaise en paille et configura une histoire paternelle très différente de celle que son feu père lui avait raconté toujours.

Son père, un enfant comme tant d'autres qui eurent à abandonner forcément  Euskadi, son village et ses parents, fut envoyé en Hollande en 1937, alors qu'il comptait 7 ans. D'autres furent accueillis dans d'autres pays qui offrirent leur aide à ce futur enfantin soumis dans la pauvresse d'un pays avec un dictateur aux manières rudes, insensible aux valeurs de beaucoup de familles basques, comme celle d'Antxon. Une famille qui défendit l'égalité, la fraternité des peuples, la solidarité entre les classes, la diversité comme axe enrichissant, la justice sociale, la non-violence…

Peu de temps après son départ, son père fut fusillé avec d'autres idéalistes et aussi des femmes, émulant tout ce que Franco ordonna de faire un an avant.

En Hollande et au sein d'une famille espagnole dont les valeurs étaient proches de celles qu'on a voulu couper à ras dans son pays, Antxon grandit et devint adulte.

Pendant longtemps, les dimanches à 3 et demie, il fréquentait un cinéma local où les images le permettaient de voyager à d'autres endroits et jouir de fantaisies lointaines. Mais il portait son Irun natal au cœur et c'est là qu'il envoyait sa pensée dans les froides nuits de ce pays du Nord.

Antxon était intelligent et son envie de dépassement lui amena à faire des études d'Histoire Contemporaine dans la faculté de Stenden et obtenir une bourse de travail dans la même université. Profitant d'un congrès d'autorités à Bordeaux il se rapprocha incognito de la frontière d'Hendaye. Il parvint à se réunir avec beaucoup d'autres dans le Casino de la plage d'Hendaye et il voulurent tous connaître ce qui se passait de l'autre côté de la frontière.

Antxon malgré la peine qu'il ressentait en écoutant les nouvelles que ponctuellement lui fournissait son grand ami, maintint le contact pendant les longues années, jusqu'à ce qu'un fatal accident de camion lui enleva la vie.

En ce moment, en plein les années soixante-dix, il décida qu'il resterait dans ce pays d'accueil jusqu'à ce que la liberté fut rétablie dans son pays, Euskara Herria.  Et à quel point l'attente fut longue.

À la mort de Franco, il passa la frontière. Il retourna la tête basse, avec l'impression d'être un intrus dans sa propre "maison". D'avoir manqué l'histoire de son endroit. D'avoir vécu une autre histoire. À son retour il n'était plus jeune. Une maturité consolidée mais sans famille. Malgré tout, il eut de la chance et commença à travailler à l'université du Pays Basque comme adjoint et connut une charmante boursière de Navarre, de Lesaka plus exactement, Ixabel. Avec elle il eut son seul fils, Eneko, et jusqu'à la mort précoce de celle-ci,  ils l'élevèrent dans les valeurs pour lesquelles beaucoup étaient morts et tant d'autres avaient été éloignés en rêvant d'un autre paradis.

Antxon ne permit jamais que son fils ou Ixabel eurent accès au débarras. Il ne raconta jamais son passé véritable. Il leur raconta toujours que les aitonas avaient émigré en Hollande avec lui et qu'ils étaient morts là-bas. Qu'ils avaient émigré à la recherche d'un futur meilleur pour tous en temps de guerre. Qu'il avait grandi entouré de ses parents et que dans l'essai de retourner au racines que ses parents ne purent pas récupérer, il est retourné après leur mort pour continuer avec ses noms et l'euskera.

Eneko ne comprend pas tout à fait pourquoi son père a changé sa propre histoire.

Ce qu'Eneko ne sait pas encore est que son père avait un frère jumeau, Joxan.

On retrouva le tendre et joyeux Joxan mort à côté d'autres républicains une chaude nuit d'été dans la borda à laquelle il accourait en emmenant de quoi manger. Il grimpait comme une chèvre les rochers en chantant les chansons que sa mère chantait pendant qu'elle lavait le linge dans le lavoir. Et quand il était proche du point de rendez-vous il saluait d'un irrintzi qui le faisait sentir tout à fait heureux.

Ils y rencontrèrent un tas de tracts dans lesquels apparaissaient écrits les 10 commandements républicains: premier, aimer la justice; second, le culte de la dignité; troisième, vivre avec honnêteté; quatrième, cultiver l'intelligence… et sûrement sans avoir le temps de lever le bras et proclamer les valeurs que tant de fois les emplirent d'espoir ils les abatturent et les laisserent là jusqu'à ce qu'ils furent découverts quelques jours plus tard.

Le fut tel l'impact et la terreur que ressentirent les parents d'Antxon qu'ils lui apprêtèrent un petit balluchon avec quelques habits et un morceau de fromage Idiazabal et embarquèrent son cher fils, maintenant son unique enfant, dans un bateau vers la Hollande. Il pouvait se sauver.

Anuska Petruska