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14 AVRIL
Je gardai mes livres dans le sac à toute allure et je mis les auriculaires de mon vieux mp4. Pourquoi tu ne le changes pas Andrea? Pourquoi tu ne t'achètes pas un Ipod?, me demandait toujours ma mère, Que pouvait-elle en savoir! Elle ne pouvait aucunement imaginer quelle damnée de journée j'étais en train de vivre, avec une chaleur étouffante et, pour couronner le tout, devant passer un examen sur les Bourbons justement le jour de la commémoration de l'anniversaire du début de la IIème République espagnole. J'allais le rater, c'était clair, au sujet des Bourbons je n'avais pas de réponses, plutôt des questions: Qui a voté pour lui? Combien perçoit-il? Pourquoi porte-t-il l'habit militaire? Ne sommes nous pas tous des égaux? Je soupirai pendant que j'écoutais la chansonnette de Canallas: "Si les rois d'Espagne savaient qu'est-ce qu'ils vont durer peu, ils parcourraient les rues en criant, Liberté, liberté, liberté!".
Je traversai la route qui menait à l'arrêt du bus serrant dans mes bras un livre de photos de la république et de la guerre civile que j'avais pris en prêt de la bibliothèque de la ville. Ferrol. Avec "la plus grande honneur" d'être la ville qui vit naître Franco.
-Le général généralissime- me surpris-je en murmurant repliée sur moi-même. Au Ferrol on ne le fête à peine. Comme si de rien n'avait été. Peut-être y-aurait-il une grève, avec de la chance. Avec trop de chance.
Je m'assis à l'arrêt, collé sur la vitre il y avait un autocollant du drapeau tricolore, tellement déteint que le rouge était devenu orange, le jaune d'une tonalité pâle proche du blanc et le mauve, rose. Je me souvenais de ces autocollants. Je me souvenais d'en avoir vu des tas collés aux murs de la place et que mon ami Dani avait craché dessus. Je me suis beaucoup fâchée avec lui ce jour-là. Mais il est très influençable, un exposé de notre professeur de langue et il parle déjà de l'inutilité des rois. Pathétique. Moi, par contre, malgré que personne ne me prenne au sérieux, dû à mes à peine quinze ans, je crois depuis mes treize ans aux idéaux républicains. Tout cela grâce à mon amie Laura, alias Lör, qui a actuellement dix-sept ans.
A côté du dit autocollant, un autre qui me fit bouillir le sang, avec le dessin d'une ampoule et le slogan "La nouvelle idée de l'Europe", propagande de la phalange espagnole. Ironique de le trouver juste à côté d'un autre sur lequel on lisait "Troisième République maintenant!". Je décidai de m'asseoir et j'ouvris le livre à une page quelconque. Les regards de plein de gens me transpercèrent. Républicains. Probablement poussés à l'exil. Au centre de la photo noir et blanc il y avait un homme avec une moustache, à ses pieds, beaucoup de petits enfants. Derrière cet homme en costume, peut-être des écrivains, des gens intelligents. A sa gauche, une jeune fille d'à peu près mon âge. Coupe mi-longueur brune et ondulée, comme la mienne, les yeux noirs, comme les miens et cette expression de sérénité et de sagesse que mille fois j'ai tenté d'obtenir. Peut-être fuyait-elle, elle aurait tout abandonné, elle n'aurait pu rien emporter avec elle. Je mordis ma lèvre inférieure, si jamais il y avait une guerre et j'avais à m'exiler, je ne saurais pas quoi emporter, non pas parce que j'aie beaucoup d'affaires et que je ne sache pas choisir laquelle d'entre elles, mais parce que je n'ai aucun objet qui me rappelle si fortement la joie pour vouloir l'amener. Que devrais-je emmener? Une photo? Un livre? Un journal où raconter ma vie au jour le jour? Je ne sais pas et peut-être jamais je ne saurai. Au début, innocente que je suis, je pensai à ma mémoire USB, où je pourrais garder toutes les photos, les livres et les souvenirs que je voudrais préserver, et qui même sur moi n'occuperait que très peu de place. Rapidement je rejetai cette idée, elle ne m'était suffisamment chère. Ensuite mon esprit est allé chercher mon vieux exemplaire de "La mère" de Maxime Gorki, mon livre préféré. Mais, est-ce que le l'aimais à ce point? Au point de devenir la seule chose que j'amènerais?
Je pensai à mon grand-père, l'immortel communiste, le seul de ma famille avec lequel je partage plus ou moins un peu de mon idéologie politique. J'aime bien son point de vue, et j'aime autant nos débats politiques pendant les repas. Il emporterait sa monnaie. La monnaie ronde en argent avec le buste de Lenin. Il n'hésiterait pas un seul instant.
Ma mère, votante fidèle du PP et avec qui j'ai toujours des disputes, sans aucun doute elle amènerait une photo de l'acteur Johnny Depp, dont elle en raffole telle qu'une adolescente.
Et ma grande-mère, mon apolitique grand-mère, elle amènerait une télévision de poche, elle qui aime tant le cinéma et qui s'y connaît si bien.
¿Et moi? Qu'est-ce que je ferais, moi? Qu'est-ce que j'amènerais?
Mais bien-sûr! Il ne s'agissait pas de "quoi" mais de "qui" j'amènerais. Un camarade, le meilleur, cette personne qui m'aime et qui me comprend. C'est bien elle que je voudrais amener avec moi jusqu'au bout du monde s'il le faut.
Je souris et pendant que je regardais l'autocollant à moitié décollé, je pensai que pour moi, le drapeau tricolore ondoyait plus fort, plus grand et plus brillant que jamais.
Nynfe