Association Rèpublicaine Irunaise
"Nicolás Guerendiain"
La défense des valeurs républicaines et la récupération de la mémoire historique

Premiere Prix

Photo de la livre du prix

Livre du prix a Maria Arbeloa

Affiche du concours littéraire

L’horloge marquait onze heures du soir, trop tard pour une fillette de mon âge. Je restais, mon demi mètre trente étendu sur le lit, les mains avec les doigts entrelacés par-dessus la couverture, à la hauteur de mon ventre. J’avais les yeux ouverts. Je ne pouvais pas dormir. Je sentais un tas de papillons qui voletaient dans mon estomac. Je ne savais pas bien ce qui allait se passer le lendemain, en réalité, je n’avais aucune idée, mais il semblait que cela allait être quelque chose d’épatant.

Mes parents n’avaient pas cessé d’en parler pendant le dîner. Les yeux de mon père étaient embellis par des étincelles qui le rajeunissaient de dix ans. Je ne l’avais jamais vu aussi ému et crispé pour une affaire de travail. Normalement il n’en parlait pas grand-chose à la maison et il n’était pas question que je dise quoi que ce soit à l’école, même plus, je ne savais même pas en quoi mon père investissait tout son temps. J’étais seulement consciente du fait que toutes les fois que je mentionnais son nom à l’école, sœur Lourdes me faisait taire et me menaçait d’une punition.

Mais cette nuit-là, il semblait que mon père ne se repentait pas de son travail. Je continuai perdue dans mes réflexions, jusqu’à ce que le sommeil m’envahi, un sommeil léger, nerveuse comme je l’étais. La nuit passa très vite et tôt je sautai du lit, je ne pouvais pas imaginer quel fait merveilleux m’attendais ce 14 avril 1931.

J’accourus à la cuisine où ma mère préparait du café bouilli. Sur la table, à côté de sa petite tasse de porcelaine que ma grand-mère avait rapportée de son voyage à Paris, il y avait un verre de lait et un paquet de biscuits. Ma mère sourit avec un de ses chauds sourires et, me faisant la bise sur le front, me rappela que je devais m’habiller parce que nous devions aller à l’église.

Je m’habillai rapidement puisque j’avais grande envie d’aller dehors. Mes chaussures neuves d’un noir reluisant attirèrent mon attention jusqu’à parvenir dans la rue et je remarquai qu’ils allaient très bien avec le rouge des briques qui recouvraient ma rue. C’est alors que je me suis rendue compte que je n’avais pas pris mon voile, je ne pouvais pas imaginer combien cela allait contrarier ma mère, qui me tenait fortement la main et combien le reste des voisins n’allaient pas l’apprécier à notre entrée dans l’église. Franchement, il n’était pas très amusant d’assister à la célébration de l’eucharistie.

Je ne comprenais pas les sermons du prêtre et cette heure éternelle je la passais à regarder à travers mon gênant voile, les vantardises de pouvoir monétaire que dégageaient les “spectateurs” des rangs les plus proches de la chaire et qui s’éteignaient au fur et à mesure qu’on s’éloignait de celle-ci, ce qui laissait près de la porte et avec une plus grande difficulté pour bien écouter l’Evangile des personnes que je ne connaissais pas, des enfants que je n’avais pas vus à l’école, probablement qui ne savaient même pas lire.

Quand je soulevai les yeux de mes chaussures pour avertir ma mère de mon étourderie je pus voir que d’un côté à l’autre de la rue pendaient des petits drapeaux de couleurs, mauves, rouges et jaunes. Et des lampadaires pendaient des drapeaux des mêmes couleurs, et des fenêtres des maisons. Par terre, des tas de prospectus dans lesquels on lisait "liberté", "égalité d’opportunités", "justice", "liberté", "liberté", "égalité"… on aurait dit que la rue était en fête, les gens beaucoup plus contents, le monde semblait avoir changé.

Tous parlaient de père, sans aucun genre de peur de soeur Lourdes, je vis assis au premier rang de l’église ces enfants que je ne voyais pas à l’école et au fur et à mesure que les semaines passaient, je vis comment ils apprenaient à lire. La politique, ce sujet dont on ne parlait même pas au sein des frontières familiales, sortit dans la rue et il semblait un sujet de conversation assez plaisant pour les personnes adultes.

Mais cela n’a pas tardé à se gâcher. Bientôt la joie dans les rues s’acheva et disparurent les mots «égalité», «liberté», «justice» et «fraternité» du dictionnaire.

Ces jours-là me manquent encore, ces jours pendant lesquels je ne sais pas ce qui se passait, mais c’était la fête dans ma ville, quand je sentais la libération d’aller à la messe sans le voile, quand je pouvais parler de mon père sans peur, quand tout le monde avait des opportunités et la valeur personnelle était importante.

Je regrette mon père et j’admire tous ceux, courageux comme lui, à qui la vie leur fût dérobée, violant tout ce qu’ils proclamaient et demandaient pour le peuple, aux mains d’un homme qui, lisait-on dans les pesetas, avait la grâce de Dieu. Ceux qui ont donné leur vie dans sa lutte pour une société égalitaire, dont l’air sente la liberté. Ceux qui, depuis ce 14 avril n’ont jamais cessé de crier, avec toute la force de ses poumons, Vive la République!