Adieu à la femme qui a séjourné le plus longtemps dans les prisons franquistes (El pais 21/01/06)
Née à Bilbao en 1920. Militante communiste et républicaine, il s’agit de la femme qui a séjourné le plus longtemps, de manière ininterrompue, dans les prisons franquistes.
Avec la discrétion qui la caractérisait, Manolita del Arco nous a quittés hier. D’origine basque, elle militait depuis l’âge de 18 ans au Parti Communiste à Madrid. Elle s’est battue infatigablement durant toute la Guerre Civile pour la liberté et la République et elle fut arrêtée et, comme bien d’autres, « je n’ai aucun mérite » disait-elle, condamnée à mort par les tribunaux franquistes.
Manolita del Arco fut arrêtée le 7 mars 1939, devant l’immeuble qui abritait le Comité Central du Parti Communiste, en pleine gestation de la trahison de Casado, qui conduisit en prison des milliers d’hommes et de femmes qui, comme elle, s’étaient soulevés contre le coup militaire de Franco en défense de la République.
Elle connut plusieurs prisons: Ventas, Malaga et Segovia, où elle fut l’objet, de même que toutes ses compagnes, d’une forte répression. En 1942, elle est condamnée à mort et, ce même jour, elle fait la connaissance à Las Salesas de Madrid, de celui qui serait son compagnon pour le reste de sa vie, Ángel Martínez, condamné également à mort. Tous deux ont passé 19 ans de leur vie en prison. Tout au long de cette période, leur relation était épistolaire. J’ai eu le privilège de lire certaines de ces lettres, que l’on conserve encore, qui témoignent non seulement de leur amour, mais aussi de la militance et de la complicité qui existait entre eux. Dans une interview, je lui demandai un jour comment on pouvait aimer par lettre et elle me répondit : «Angel est mort il y a 20 ans, mais je l’aime toujours».
Lorsqu’ils virent leur peine commuée et purent enfin quitter la prison, ils se marièrent et eurent un enfant : Miguel Angel.
Ce fut l’une des femmes qui, aux côtés de Pilar Claudín, Merche Gómez, María Blázquez, Nieves Torres et Josefina María Villa, menèrent une grève de la faim dans la prison de Segovia, en 1949. À sa sortie de prison, dans les années 1960, elle continue à militer au Parti et à lutter pour la défense des principes démocratiques et des libertés de ce pays, solidaire avec ses camarades et tolérante avec tout le monde.
Manolita, de même que d’autres femmes, comme Tomasa Cuevas ou celles mentionnées ci-dessus, ont lutté dans la clandestinité pour la liberté et se sont rendues à la Maison d’Arrêt de Burgos avec leurs enfants, pour appuyer non seulement leurs maris, mais tous les prisonniers politiques.
Avec la transition vient aussi l’oubli, une dure étape pour les hommes, mais encore davantage pour elle et toutes les femmes.
Elle disait que «c’est la femme, avec une majuscule, qui a lutté et s’est sacrifiée pour les prisonniers, les détenus, les poursuivis, celle qui a parcouru les montagnes avec les guérillas, le combattant des mille et une batailles qu’il fallait livrer contre le fascisme pour atteindre la liberté».
Toujours modeste et sans le moindre désir de protagonisme, elle a toutefois contribué à l’histoire et son témoignage nous rappelle la répression vécue, sans ressentiment, mais avec l’assurance qu’il existe une valeur pour laquelle il faut toujours se battre : la liberté. Elle n’a jamais voulu d’hommages, elle ne cessait de répéter « je ne suis qu’une parmi bien d’autres». Ce texte n’est donc, Manolita, qu’une acte de justice et de reconnaissance, à ton égard et à l’égard de toutes les femmes qui avez sacrifié vos vies pour la « République et la liberté ». Nous ne pouvons permettre que vous tombiez dans l’oubli. Jusqu'à la fin de sa vie, elle a conservé sa lucidité et défendu fermement sa militance communiste et républicaine, qui l’a finalement fait accepter, l’année dernière et pratiquement déjà sans force pour résister, la Présidence d’Honneur de l’Association de Femmes Sororidad.
Pour les historiens qui l’avons interviewée, elle s’est avérée une impressionnante banque de données. Et pour moi, un privilège, un référent. Elle m’a montré que, par-dessus tout, il faut être intègre, dur comme la pierre, mais transparent comme le cristal. À tout jamais, Manolita. Ton combat et celui de tes compagnes n’a pas été vain.
Jorge J. Montes Salguero est Sous-Directeur Général de la Bibliothèque Nationale